Quels défis pour la gouvernance des coopératives financières ?
Interview croisée de Michel ROUX et d’Éric LAMARQUE.
1/ Le modèle coopératif des Banques Populaires a 100 ans. En quoi ce modèle de gouvernance est pertinent, solide, pérenne ?
MR : Les Banques Populaires sont le fruit d’un mouvement humaniste né à la fin du 19ème siècle. En mars 1917 le Ministre Etienne CLÉMENTEL leur a donné un second souffle et une grande responsabilité en leur confiant, par la Loi, le soin de financer la reconstruction économique de la France en sortie de la Grande Guerre.
Les Banques Populaires sont à la fois coopératives et régionales. Cette double qualité nourrit leur modèle de gouvernance, elle en fait sa pertinence et est tout à la fois un moteur de sécurité, de solidité financière et de développement.
Le premier atout réside dans l’alignement d’intérêt qu’il y a entre le client de la banque et le sociétaire. Le sociétaire consomme les produits et services de la « coopérative ». Il la connaît et en détient une part du capital social contribuant ainsi à sa solidité et à sa capacité de développement dans la durée.
Cette vision long-terme est un élément de résilience du modèle et un formidable amortisseur des risques conjoncturels, qui s’ajoute à la division des risques née du caractère régional. C’est le deuxième atout.
Enfin, dernier atout et non des moindres, la proximité. Proximité géographique d’abord, celle qui nourrit une connaissance fine du tissu économique local. Proximité des valeurs, de la confiance que l’on peut mettre dans les hommes et leur capacité à entreprendre. Cette culture entrepreneuriale sur laquelle veillent les administrateurs fait progresser la banque en lui apportant une meilleure compréhension de l’activité de ses clients. La proximité, c’est la connaissance client qui permet une prise de risque éclairée, élément déterminant de la relation bancaire.
EL : Le modèle coopératif des Banques Populaires a l’avantage de la clarté. Les administrateurs présents sont ceux qui sont également des clients significatifs de la banque. En raison de la nature de la clientèle des Banques Populaires on retrouve donc de nombreux entrepreneurs dans ces conseils. En tant qu’entrepreneurs ils portent un message et un regard clairement orienté vers les besoins de la clientèle.
À partir du moment où les banques considèrent qu’elles travaillent mieux en s’appuyant sur ce type d’administrateur on peut considérer qu’ils sont les garants de leur solidité et de leur pérennité.
2/ Quel est l’impact des valeurs coopératives sur le modèle de gouvernance ?
MR : Les valeurs coopératives peaufinent un modèle affinitaire et engagé.
Être une banque coopérative, régionale et responsable, c’est avant tout respecter les intérêts de tous ceux qui participent à la création de richesse dans les territoires : clients, sociétaires, collaborateurs et plus largement acteurs locaux. C’est faire preuve d’engagement, de responsabilité et de transparence vis-à-vis d’eux.
Les administrateurs, représentants des sociétaires, jouent un rôle majeur dans la gouvernance : information des membres de la coopérative, participation à la stratégie de l’entreprise, relai des besoins des sociétaires, etc. Ils font progresser les banques, challengent les décisions, et mettent en valeur l’engagement de la banque sur son territoire. Ils sont représentatifs du fonds de commerce entrepreneurial de la banque (40% des entreprises françaises sont clientes du réseau Banque Populaire).
EL : Les valeurs coopératives se retrouvent dans la gouvernance dans la mesure où ce sont les clients sociétaires qui sont en charge de la gouvernance. On peut donc s’attendre à ce que les pratiques bancaires soient influencées par ce mode de gouvernance. Cela veut dire par exemple une façon plus coopérative de soutenir des clients en difficulté, un engagement plus intense dans la société et dans le développement des territoires.
3/ Quels sont les grands enjeux de gouvernance des coopératives pour l’avenir ?
MR : L’enjeu de la proximité est majeur, la taille de nos Banques Populaires s’accroit au regard des fusions, les territoires aussi s’agrandissent. Et pourtant notre force réside clairement dans notre intimité avec l’économie réelle, celle qui fait vivre les territoires. La transformation digitale est une opportunité qui permet de créer une nouvelle forme de proximité en associant davantage les sociétaires. Elle permet également de rester à l’écoute des acteurs locaux en créant plus de liens entre les administrateurs, les sociétaires, les clients et les collaborateurs, ambassadeurs clé du modèle et des valeurs.
EL : La proximité est un défi pour les coopératives et doit être réinventée. Pour les coopératives bancaires elle s’est souvent traduite par le réseau d’agence et la capacité de décision au plus proche de la clientèle. Aujourd’hui, il leur faut réfléchir aux critères sur lesquels elles peuvent rebâtir ou renforcer ce sentiment de proximité grâce au digital.
La proximité restera donc un avantage concurrentiel mais elle se construira de façon assez différente et il faudra se poser la question du maillage d’agence et surtout à ce que l’on continuera à leur faire faire, à l’interaction avec la clientèle, à l’expérience du client qui sera seul juge de la proximité qu’il ressent. Un beau sujet d’innovation !
MR : Dans un environnement bancaire qui se complexifie, se concentre et s’industrialise, la réglementation et son évolution permanente représentent aussi un enjeu fondamental. Ce modèle coopératif existe depuis le 19ème siècle, il est plus que jamais une idée moderne très en ligne avec les tendances sociétales actuelles qui donnent plus de sens à l’engagement. La reconnaissance et la compréhension du modèle coopératif par le régulateur est nécessaire. Elle nécessite une mobilisation permanente.
EL : Effectivement, l’attente des régulateurs est de deux natures : d’une part, s’assurer de l’indépendance d’esprit des administrateurs et des conseils. Concrètement cela veut dire avoir la capacité de challenger les dirigeants exécutifs sur un certain nombre de décisions et notamment en matière de politique des risques ou d’orientation stratégique. D’autre part, il y a clairement une attente pour que les conseils n’agissent pas seulement en termes de contrôle des décisions mais de plus en plus qu’ils soient contributifs. Autrement dit qu’ils contribuent à la construction de la stratégie et qu’ils participent à l’élaboration de la politique des risques. Ils feront aussi très attention à ce que les administrateurs prennent le temps nécessaire pour assurer ces missions.
4/ Quels critères pour juger de l’indépendance ou efficience d’un administrateur?
EL : L’indépendance des administrateurs se juge souvent ex post quand on observe leurs réactions dans les conseils. Le nombre de questions posées, le refus de voter certaines décisions, le vote contre certaines décisions. D’où l’importance d’une évaluation du fonctionnement du conseil pour voir ceux qui contribuent par leurs questionnements et leurs interventions à conduire les dirigeants à s’expliquer plus en détail sur leurs choix.
Ce qu’il faut c’est une indépendance de comportement, une indépendance d’esprit. Elle ne se décrète pas. Pour l’exercer il faut une connaissance des dossiers et une culture bancaire de haut niveau complétée par une bonne connaissance des grandes problématiques du secteur. La montée en compétence est donc nécessaire. En fait il faut bien considérer que les évolutions attendues par les régulateurs vont dans le sens d’un partage des responsabilités entre les conseils et les dirigeants exécutifs quant aux décisions prises. La question n’est donc pas uniquement de prendre des décisions plus efficaces mais la coresponsabilité. Si les conseils ne sont pas capables de challenger les dirigeants on ne les considèrera plus comme responsables et toute la responsabilité portera sur l’exécutif.
MR : Pour le réseau des Banques Populaires, nous partons du postulat que tous les administrateurs sont indépendants, le lien financier étant très faible (montant moyen de détention de parts sociales : 2 300 €). L’indépendance d’esprit des administrateurs est garantie au travers de règles définies dans les statuts et le règlement intérieur de chaque banque, comme dans le cadre de la relation bancaire (notion de crédit incontesté).
C’est un sujet que regarde très attentivement le régulateur. La compétence individuelle des administrateurs et la compétence collective du conseil permettent un bon fonctionnement de la gouvernance. Ceci est vérifié afin de se conformer aux principes du Fit & Proper. Un programme de formation des administrateurs est d’ailleurs mis en place pour accompagner la montée en compétences ou connaissances des administrateurs de nos conseils d’administration.
Dans un contexte où les produits bancaires et services sont de plus en plus banalisés et les parcours clients indifférenciés, ce modèle de RSE coopérative, territoriale et affinitaire est un élément clé du développement de notre économie. Les administrateurs en sont la clé de voûte.
Magazine des Professions Financières et de l’Économie – Mars 2018 – n°14
Michel ROUX
Directeur général de la Fédération Nationale des Banques Populaires
Éric LAMARQUE
Directeur général de l’IAE de Paris et Directeur Scientifique de la Chaire Management et Gouvernance des Coopératives Financières